• We need to talk about Kevin : tu seras un monstre, mon fils !

     

                             


     We need to talk about Kevin : tu seras un monstre, mon fils !

     

    Une baie vitrée, un rideau blanc fantomatique aspiré par l'air que l'on devine frais sur la terrasse, un très léger mouvement qui perdure pendant de longues secondes... Un voile semblable à la Mort, au passé, un voile de souvenirs ? En tout cas, nous voilà emmenés dans un voyage qui met notre état moral en péril jusqu’à la fin. Mais l'ambiance que transmet l'écran à la salle nous cloue d'avance sur notre siège, et nous ne pouvons nous échapper. L'ascension vers la monstruosité même commence...

     

    Presque dix ans après les succès critiques de ses premiers films, Lynne Ramsay repeint au cinéma l'histoire tragique du roman éponyme de Lionel Shriver (Il faut qu'on parle de Kévin en VF, publié en 2003) inspirée du massacre de Columbine, le 29 avril 1999 (d'ailleurs cité dans le roman). C'est une histoire de haine entre Eva, interprétée par Tilda Swinton (Vanilla Sky, Le Monde de Narnia, L'Étrange Histoire de Benjamin Button, Burn After Reading), et son fils, Kevin, Ezra Miller (Every Day, Californication). Une histoire donc peu banale qui vire au cauchemar lorsque Kevin commet l'impensable. Du point de vue de la mère, le film est construit sur une série de flash-back qui déboussole le spectateur dès la première minute.

     

    Cette haine, Eva ne semblait pas s'y attendre, mais quand le calme quitte sa vie avec l'arrivée de Kevin, elle sent qu'un destin est déjà tout tracé pour son fils. Elle préfère le bruit, les marteaux-piqueurs d'un chantier en ville aux cris de son rejeton, lui, repousse ses approches maternelles. Tout deux se livrent une bataille qui n'aura de cesse qu'avec le coup de folie de Kevin, ruinant leurs deux vies entremêlées. En tant que mère, car c’en est véritablement une, destituée de tout honneur et de tout espoir, Tilda Swinton (Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle dans Michael Clayton) est époustouflante. Elle nous livre la meilleure performance de toute sa carrière et nous perturbe autant que nous l'admirons. Elle est un corps cassé, un visage intrigant, des yeux hypnotisants. Ezra Miller est lui aussi pourvu d'un charme incroyable, et la portée de son jeu est telle qu'on en vient presque à se demander si l'écran est une défense suffisante face au caractère démoniaque de son personnage. Un seul de ses regards nous glace le sang, nous pétrifie. L’œuvre de Shriver était entièrement portée par sa plume. Dans ce film, l'histoire n'a que peu d'importance. Les seuls piliers essentiels sont ces deux acteurs principaux qui, doués d'un talent étonnamment développé pour gêner l'assemblée par une simple démarche, une simple allure, un simple regard, lui font subir au fur et à mesure du temps l'impeccable qualité de leur jeu respectif, épuré de dialogues. Seul comble de ce silence, la musique. La bande originale est simple mais puissante. Et on se souviendra longtemps (je pense) de la séquence d'Halloween, scène en voiture (comme souvent dans le film) inquiétante semblable au clip de la chanson « Wrong » de Depeche Mode où une série de plans sombres est accompagnée par une musique plutôt guillerette d'un cynisme déplacé. Un jeu de musiques qui n'est pas sans rappeler, dans les films toujours à l'affiche, l'indéfinissable parade de la bande originale de La Guerre est Déclarée, qui donne au film toute sa vigueur.

     

    Lors de l'assaut final, Lynne Ramsay nous épargne l'atrocité triviale des mots de Shriver en jouant pleinement des procédés de son art. Elle ajoute par l'image un relief plus aigu au livre, ce qui magnifie le texte. Les deux se lient l'un à l'autre et s'embrasent mutuellement, rendant le film par la même occasion plus accessible aux personnes sensibles. Après le tragique, qu'on pourrait qualifier de point culminant de ce thriller dramatique, vient la chute, qui elle est sûrement bien plus dérangeante que toute l’œuvre visuelle dans son ensemble, chute qui montre la réapparition de l'humanité dans un monde dont on aurait pu croire qu’il en était jusqu'alors dénué. Néanmoins ceux qui n'auraient pas lu le livre seraient tentés à la fin du film de penser que cette mère découvre tout l'amour qu'elle porte à son fils lors de ce magnifique face-à-face final. Mais les plus perspicaces seront moins naïfs et s'apercevront bientôt que ce n'est pas l'amour qui est le fondement de cette histoire, car Ramsay nous livre ici, comme l'avait fait Shriver, la plus platonique des faces cachées de la vie maternelle, le devoir de soutien qui, d'ailleurs, se trouve ici sans soutien apparent d'un véritable amour.

     

    A mon sens, Lionel Shriver avait signé avec Il faut qu'on parle de Kévin le plus grand chef-d’œuvre de la littérature américaine des 20 dernières années. Lynne Ramsay nous en livre avec son film magistral, dérangeant, horrifiant, magique, une adaptation plus que satisfaisante.

     

    Antoine Houérou

     


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