• Jean Portante, "La réinvention de l'oubli"

     

    Jean Portante, La réinvention de l’oubli, Le castor Astral, 2010

     

                

     

    « Parce que l’oubli est la plus parfaite des mémoires »*. 

     

     

     

    Avant que ne tombe la nuit, il faut prendre rendez-vous avec notre « buveur de mémoire ». Sinon la nuit nous susurrera l’oubli dans le creux de nos oreilles vaporeuses. Voilà où Jean Portante nous mène, dans le creux d’un drap qui se déplie comme l’« accordéon du passé ».

     

    Pourtant l’oubli est tissé de mots, d’un essaim de traces et de poudre parsemée de vie et de mort. Cette poudre s’envole dans le ciel et peint la « lisière des fleuves » à l’horizon. L’oubli se réfugie alors dans les nuages et file avec le vent comme le fleuve du style de Portante. Et les mots déversent cette réflexion sur les souvenirs qui se tapissent sous le lit de notre conscience. Une question s’évade des pages et nous submerge : si nous pouvions choisir quoi oublier, par quoi commencerions-nous ? L’oubli c’est comme un vin de souvenirs, des cendres d’antan, peut-être bien ce cadavre enseveli qu’il faut déterrer pour espérer l’entrevoir. Mais nous ne sommes que wagons, la vie nous regarde passer sur le dernier rail de la nuit. Et puis au final, c’est bien nous, cet « oublieur » « à la bouche pleine d’os qu’infatigablement nous mâchons, avec le goût des décombres en bouche. ». Il faudrait peut-être ouvrir l’un des tiroirs de nos rêves enchaînés aux rochers pour enfin dénicher une égratignure de ce couple de regrets frappés par le couteau du destin.

     

    C’est tout un univers intime qui se déplie à nos pieds où notre mémoire de l’oubli devient une terre à parcourir. Le mythe de l’oubli voyage à travers le Léthé qui dérive et fait de la mémoire un récit factice, des mots qui comblent un vide implacable et pourtant inconscient. Il faut sans cesse rebroder sa mémoire en feignant d’ignorer notre statut d’« oublieur » éperdu dans la masse du néant. C’est avec la recette d’une poésie musicale et fluide que Portante nous offre à déguster nos oublis à travers notre propre mémoire. Des images fugitives, qui se manifestent et s’évadent à l’instar des souvenirs, sont retranscrites fidèlement à travers de multiples anaphores qui offrent un léger refrain à sa poésie. D’obscures métaphores ne demandent qu’aux contingences de frémir face la diversité des interprétations. Chacun peut voir le reflet de sa propre mémoire dans ce canevas d’allusions à la fois mythologiques, oniriques et tout simplement magiques. A vouloir saisir l’ineffable, Jean Portante réussit avec talent à incarner par le souffle immanent des mots l’oubli insaisissable.

     

    Allison Leroux

     


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