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    Arnaud Catherine, Florent Marchet, Frère animal, CD 19 titres, 56 mn, Verticales / Phase deux, 2008

    L'écrivain Arnaud Catherine (voir son livre Sweet home, 2005, "Folio" Gallimard) et le chanteur Florent Marchet (voir son album Couchevel, 2010) ont produit en 2008 un roman musical original, l'histoire de l'usine SINOC, Société Industrielle Nautique d'Objets Culbuto. Comme dans un roman, le récit commence par planter le décor : "Ouverture", "Vous êtes bien chez SINOC", "Voici la Mère" sont les trois premiers titres sur les 19 de l'album. Le ton est donné : entre fantaisie et ironie, la charge contre l'esprit d'entreprise, dans ses formes anciennes du capitalisme parternaliste jusqu'à son discours néolibéral actuel, fait mouche sans être trop pesante. Puis apparaît le personnage principal autour de qui la trame narrative est tressée : Thibaut est un fils d'ouvrier qui refuse de finir à l'usine SINOC comme son père et ses camarades de classe. Le plaisir qu'on éprouve en écoutant cet album procède sans doute de son côté "variété pop", dans sa musique et dans son rythme, allié à un roman social très critique :

     

    Mon père avait dit : "Tu crois ? Que j'aime mon métier ? Je n'ai que ça. Mais c'est déjà une chance !" Il avait dit : "Tes livres. Toujours tes livres." Parfois il rentrait dans des colères noires. Il s'emparait d'un bouquin et m'assénait un coup sur le crâne. Il m'aime, mon père. Mais je sais bien ce que ça signifiait, de me frapper le crâne avec ces putains de livres qui ne servent à rien et ne mènent nulle part, ça signifiait : tu nous échapperas pas, tu resteras des nôtres, tu n'iras pas avec les bourgeois, tu ne trahiras pas. (XV, "Mon beau casier", 4,41)

     

    Mettre en paroles et musiques des sujets comme "Journée portes ouvertes 1" (IV) ou bien "Fiche de recrutement" (XI) n'est pas si commun dans la variété française "pop", c'est surtout très drôle, comme "La chanson du DRH" dont on peut voir le clip : http://www.youtube.com/watch?v=sLXSOjG8mJ0 . Bien sûr, avec Florent Marchet, tout cela finit très mal mais c'est toujours jubilatoire. Comme un grand coup de pied dans la fourmilière !

     

     

     


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  • Les éclectiques

    "L'esprit le plus ouvert à toutes les notions et à toutes les impressions" (Baudelaire)

     

     


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  • “Fès ma promise inatteignable”*

     

    Le prix Goncourt de la poésie 2009 accordé à Abdellatif Laâbi pour son oeuvre poétique a sans doute eu l'heureux effet de faire rééditer Le fond de la jarre dans la collection « folio », livre paru dans la collection blanche en 2002. Dans ce récit, Laâbi recrée une enfance passée à Fès, dans les années 50, sous protectorat français, à la manière d'un aède ou d'un rhapsode inspiré, nous plongeant dans le fond de la jarre (le titre et la métaphore nous sont expliqués dans l'épilogue) comme on s'enfonce dans un fauteuil de cinéma : l'adulte qui se raconte ferme les yeux et se laisse imprégner par les premiers sons d'ambiance des décors de l'enfance : « L'enfant qui ouvre les yeux sur la maison de la Source des Chevaux doit avoir quelque six ans (...) Ses camarades de jeu l'appellent Namouss (Moustique) » (p.46). Ce décrochage du « je » qui a débuté le livre au « il » qui le poursuit s'accomplit au moment de la nuit de noces de son grand frère, moment tragi-comique car la promise reste « inatteignable » aux assauts maladroits du jeune marié. Nous n'en saurons pas plus. De cette ellipse matricielle naît un récit allègre et malicieux qui s'éloigne volontairement des poncifs du genre pointés d'ailleurs du doigt : lecteur, nous avertit le narrateur, on ne te parlera pas ici de « l'école coranique », de la « la circoncision », de « la fête du mouton », du « hammam », ou bien de « la tyrannie du pater familias » ! Au contraire, c'est un Namouss en « agréable harmonie avec son corps » (p.154), sa ville et sa religion, qui revisite les territoires de l'enfance avec une grande liberté de tons et de registres.

     

    La maison familiale s'éclaire d'abord sur la figure maternelle de Ghita dont les incessantes litanies rythment la journée. Driss le père, « un homme confiant de nature » (p.51), tolérant et magnanime, se tient tout près d'elle. L'école ensuite, avec la Nazaréenne Melle Nicole, résonne des premiers cours de français prodigués par Monsieur Benaïssa où chacun répète avec difficulté les bohjour, bounjours, bojors auguraux… La famille élargie se donne rendez-vous pendant les vacances à Bab Ftouh autour de ses bassins de baignade réservés aux jeunes, aux adultes et aux femmes, moments de langueur dont le climax est marqué par l'arrivée du frère cadet de Driss, Touissa, oncle prodigue charmant son auditoire par ses récits... Fès à l'approche du ramadan s'anime sous les cris de ses guerres enfantines dans le quartier des Kairouanais, ses figures de vieux fous et de vieilles folles, Chiki Laqraâ (la Frime chauve), Bou Tsabihate (l'Homme aux chapelets), Bidouss, Aâssala (la femme aux chats) occupent bientôt le premier plan... Puis les journées de monsieur Ramadan sont l'occasion de faire de longs travellings dans Fès endormie, brutalement secouée par une manifestation pour l'indépendance à Aïn Allou… Des territoires plus intimes sont explorés sur les terrasses inondées de soleil, territoires réservés à la gent féminine. C'est encore la rentrée scolaire, les dimanches après-midi et ses parties de football dans le cimetière de Bab Guissa, le championnat avec le MAS, l'équipe de la ville, les séances de cinéma dans lesquelles l'enfant se jette « à corps perdu ».

     

    Le retour au « je » est marqué par une pudique ellipse : la femme« promise » au grand frère est enceinte. Fès est alors secouée par des attentats après la tentative d'assassinat à Rabat du sultan illégitime, Mohammed ben Arafa. La ville est occupée, la famille reste cloîtrée, les discussions politiques divisent Driss et son fils aîné, le temps passe et les nuages noirs des événements politiques, comme un fondu au noir de fermeture, effacent ces figures héroïques de l'enfance.

     

    Les piquantes anecdotes de Namouss le «  Moustique » sont saluées par J.M.G. Le Clézio : « Voilà bien un livre salutaire, inventif (…) qui nous donne l'assurance que, malgré la noirceur des temps, la qualité humaine et la vertu humaniste brillent toujours au Maghreb d'une clarté dont la vieille cité de Fès est sans contredit la plus jeune étincelle. » En somme, depuis le fond de la jarre s'épanouit un Maroc qui réjouit l'âme et le coeur !

     

    * « Le spleen de Casablanca », Oeuvres poétiques II, Editions de la différence, 2010, p.185.

     


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